1988 Franceville, Gabon.

Martin, c'est un grand et fort pompier gabonais, à la fois rigolard et insouciant. Il aura plusieurs fois l'occasion de me prouver son honnêteté et sa fidélité en amitié. Bref, Martin, c'est mon pote !

 

Quelques tranches de sa vie permettent de mieux comprendre la mentalité gabonaise.

 

Mon pote Martin est financièrement bien atteint, mais ceci est entièrement de sa faute.

Fort de son salaire de pompier (80 000 FCFA par mois, c'est à dire 140 €), il y a un an, il emprunte 6 millions de francs CFA (9 000 €). Son but : construire sa maison. Normal.

Sauf qu'un an après, il n'y a toujours pas de maison, mais plus d'argent et une énorme dette à la banque à rembourser tous les mois. Je lui demande des explications :

  • Eh bien je suis passé à la banque et après pas mal de documents et d'enquètes, il m'ont donné l'argent.

Au Gabon, à l'époque, les comptes en banques n'étaient pas répandus. Les salaires et les prêts étaient versés en liquide directement aux personnes intéressées. Donc Martin sort de la banque avec un gros tas de 600 billets de 10 000 FCFA. Je m'enthousiasme :

  • Donc tout va bien ! Tu as eu ton argent !

  • Oui, mais tu sais, l'argent, au Gabon, il ne marche pas droit. Quand tu sors de la banque, tu veux aller directement chez toi pour le mettre en lieu sûr. Mais l'argent te fait faire un détour par le bar où il y a de la bière, par le bar où il y a des filles, par le bar où il y a les copains. Le lendemain, il t'extrait de chez toi pour recommencer la tournée. Tu es le roi du moment !

 

Bref. Il a tout craqué. Il s'est trouvé plein de copains nouveaux tous plus assoiffés les uns que les autres et sans parler des filles, peut-être légèrement cupides quand on y réfléchit bien. En à peine une semaine, l'affaire des 6 millions était réglée. Je m'étonne :

  • Tu ne t'en es pas rendu compte que tu te ruinais ?

  • C'était la première fois de ma vie que j'avais un gros tas de billets comme ça dans la main. Je pensais que ça ne pouvait jamais finir !

 

 

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Martin a une copine gabonaise. Une copine un peu spéciale pour nous, occidentaux. Il faut dire que Martin reçoit son salaire le 26 du mois, mais ceci n'a rien à voir avec l'amour, bien entendu.

Depuis plus d'un an, sa copine débarque chez lui le 24 de chaque mois. Ménage complet … de la maison et du bonhomme. C'est une épouse fidèle et dévouée pendant deux jours.

Le 26 arrive le salaire, payé en liquide au Gabon. A la demande insistante de la demoiselle, Martin lui en donne généreusement la moitié et part au travail.

Il ne la reverra pas avant le 24 du mois suivant. Normal : elle a un deuxième copain qui est payé le 29 et un troisième payé le 2. C'est qu'il faut rentabiliser les relations !

 

Nous en discutons longuement et je lui démontre sans trop d'efforts que sa copine n'a pas le sérieux qu'on serait en droit d'en attendre. Il en est parfaitement conscient et me jure que dorénavant, ce petit jeu est bien fini et que le mois suivant il ne lui ouvrira même pas sa porte.

 

Arrive le 22 je le mets en condition :

  • Tu ne te feras pas avoir, hein ?

  • Non, tu penses bien que cette fois, c'est fini !

 

Arrive le 23 :

  • Attention, elle risque de venir demain. Tu ne te feras pas avoir, hein ?

  • Non, non et non !

 

Arrive le 24. Pas de Martin.

Il réapparait le 25, la queue entre les jambes et m'avoue :

  • Elle est revenue. J'ai craqué !

 

Cette scène se reproduira pendant encore de nombreux mois, jusqu'à ce que la donzelle disparaisse définitivement, ayant sans doute trouvé plus rémunérateur ailleurs.

 

 

 

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Tu veux faire plaisir à Martin ? Tu lui offres une bière. Immédiatement, ses yeux s'illuminent. Tous les soucis sont oubliés et on profite du moment présent.

Tu veux lui faire très plaisir ? Tu te fends de 2 000 FCFA (3 €) et tu l'amènes en boite. Il va se défoncer toute la nuit sur le « Koissa Koissa » ou le « dombolo ». J'aime lui faire très plaisir.

Mais il y a un hic. Un Blanc et un Noir qui entrent dans une boite provoquent immédiatement un agglomérat féminin … autour du Blanc. Le Noir est systématiquement délaissé.

Ce soir, on a décidé d'inverser la tendance.

 

Martin est magnifique dans son costume trois pièces. Y a pas à dire, il porte bien la cravate. De mon coté, je suis habillé comme d'hab, c'est à dire … heu, bof.

Ca ne change rien : je reste un aimant que certaines veulent transformer en amant.

Mais on a une botte secrète : ce soir, Martin est le Directeur de l'Ecole Polytechnique et moi un modeste technicien d'atelier. D'ailleurs, ça se voit dans notre façon de parler :

  • Mais je vous prie de vous asseoir, Monsieur le Directeur !

  • Oui Jan-Jac. Vas me chercher une vodka orange, veux-tu ?

 

Les filles n'en croient pas leurs oreilles. Après quelques minutes d'observation, l'une d'elles finit par mettre son dévolu sur Martin.

Il faut battre le fer pendant qu'il est chaud ! Nous sortons de la boite tous les trois.

Problème : la voiture, c'est la mienne ! Comment concevoir que le Directeur soit à pied ?

Mais nous avions prévu le coup. Je lui demande à voix suffisamment haute pour qu'elle entende bien :

  • J'aimerais bien conduire votre voiture, Monsieur le Directeur. Vous me la prétez ?

Magnanime, il me tend les clés et s'installe à l'arrière avec sa conquète. Je les conduis jusqu'à la grille d'entrée d'une magnifique villa située juste à coté de la caserne des pompiers où il habite. Je lui demande humblement :

  • Comme j'habite à deux kilomètres, est-ce que je peux garder votre voiture pour rentrer chez moi ? Je vous la ramène demain.

  • C'est d'accord ! Mais n'en profites pas pour aller chercher les filles !

Et je file chez moi avec ma voiture.

 

 

Le lendemain, j'apprendrai que la fille a été très surprise, puis déçue, de voir qu'ils ne rentraient pas dans la superbe villa mais marchaient dix mètres plus loin, direction la caserne des pompiers...